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Nouvelles mesures fiscales : leurs impacts possibles expliqués

Fiscalité

Le 24 juillet dernier, le ministre fédéral Morneau a lancé une bombe avec l’annonce des mesures fiscales destinées aux entrepreneurs incorporés. Mathieu Goulet, CPA-Auditeur, CGA, M.Fisc., Vice-président finances chez MICA, nous explique plus en détail leurs impacts possibles.

Monsieur Goulet, expliquez-nous brièvement en quoi consiste ces nouvelles mesures?

« Les consultations sur les propositions de nouvelles mesures reposent essentiellement sur 3 axes fondamentaux de la fiscalité :

1. Le fractionnement du revenu gagné dans une société par actions avec ses actionnaires;

2. L’utilisation du report d’impôt pour générer de la richesse dite passive, soit via des placements à l’intérieur d’une société par actions;

3. La conversion de revenus de salaires ou dividendes classiques, pour un actionnaire d’une société par actions, en gain en capital. »

Concrètement, de quelles façons ces nouvelles mesures pourraient affecter les entrepreneurs incorporés?

« En premier lieu, tout entrepreneur incorporé qui fractionne ses revenus tirés de sa société avec les membres de sa famille, qui sont actionnaires, afin de niveler l’impôt global payé, devrait se sentir concerné.

En fonction de ces nouvelles mesures, siles membres de sa famille sont actionnaires de ladite société, directement ou via une fiducie familiale, l’imposition des dividendes versés à ces membres sera revue à la hausse.

Pour qu’un membre de la famille actionnaire puisse bénéficier d’exceptions à ces nouvelles mesures, plusieurs facteurs seront à considérer, soit son capital investi dans la société, son niveau d’implication et d’influence dans les affaires quotidiennes de l’entreprise et sa prise de risques financiers, en faveur de la société. L’âge du membre de la famille actionnaire est également à considérer.

En effet, le gouvernement tente d’élargir le concept de la kiddie tax, pour que le dividende versé par la société par actions puisse être taxé au plus haut taux d’imposition pour les enfants âgés de 24 ans et moins (antérieurement 18 ans et moins).

Finalement, le gouvernement viendrait abolir, par ces mesures, la possibilité pour l’actionnaire principal de multiplier la déduction pour gain en capital réalisé sur la vente des actions de la société détenues et vendues par l’intermédiaire d’une fiducie familiale.

En deuxième lieu, l’ère du « report d’impôt classique » où les entrepreneurs incorporés pouvaient générer plus rapidement de la richesse en utilisant l’écart de taux entre celui de l’individu et de la société par actions semble révolue.

L’entrepreneur qui arrivait ainsi à laisser l’argent non envoyé à l’impôt dans sa société pouvait ainsi effectuer de multiples activités de placements et se construire un fonds de pension appréciable avec le temps.

Le gouvernement Trudeau souhaite désormais« punir » les revenus imposés au petit taux corporatif, destinés à être laissés dans une société par actions pour faire des placements, en éliminant les concepts de dividendes déterminés, de remboursement au titre des dividendes et du compte de dividende en capital.

Il est important de souligner que le gouvernement Trudeau tient à garder intact le système d’imposition du revenu d’entreprise exploité activement, qui selon les études menées à cet effet, favorise l’emploi et l’investissement dans le capital productif.

En troisième lieu, le gouvernement veut s’attaquer aux efforts faits par les contribuables pour arranger leurs affaires de manière à payer le moins d’impôt possible. En utilisant des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu, un entrepreneur pouvait se servir de sa société par actions pour convertir un revenu de salaire ou de dividende, en gain en capital. L’imposition qui en découle, en fonction que seulement 50% du gain en capital est inclus au revenu du contribuable, était dès lors plus intéressante pour ce dernier.

Le gouvernement veut donc revoir et contrer ces stratégies dites de « dépouillements de surplus » dans une société par actions. »

Le ministre Bill Morneau suggère d’éliminer le remboursement de l’impôt prépayé (IMRTD). Qu’est-ce que c’est? Et quels impacts cela pourrait-il avoir?

« L’impôt en main remboursable au titre du dividende et le remboursement au titre du dividende relève du concept de l’intégration du système fiscal canadien. Ces mécanismes ont été implantés en 1972 pour rendre un individu indifférent entre le choix d’effectuer des placements directement dans ses mains et de le faire via une société par actions.

Lorsqu’une société génère du revenu de placement, un « impôt prépayé » lui est alors chargé à la fin de son année financière, puis remboursé lorsqu’elle déclare un dividende à son actionnaire.

Tel que mentionné pour la mesure 2(l’utilisation du report d’impôt pour générer de la richesse dite passive, soit via des placements à l’intérieur d’une société par actions), le gouvernement viendrait à éliminer le concept de l’impôt en main remboursable au titre du dividende, et donc, du remboursement au titre du dividende, pour les revenus imposés au taux corporatif destinés à faire des activités de placement (sur des actions cotées en bourse, des fonds mutuels, etc.).

L’impact est majeur pour les entrepreneurs incorporés et leur conseiller financier. Avec ces abolitions, on vient brimer solidement tout entrepreneur allié de son conseiller désirant utiliser une société par actions pour se construire un fond de pension à même les efforts et succès de la petite entreprise incorporée. »

Les clients potentiellement touchés par ces nouvelles mesures devraient-ils rencontrer rapidement leur conseiller ?

« À la lecture du document de consultation émis par le gouvernement, les effets des nouvelles mesures à être implantées ne seraient pas rétroactifs. Toutefois, il n’en reste pas moins que tout entrepreneur incorporé, utilisant un des trois outils majeurs de fiscalité mentionnés précédemment, devrait rencontrer son conseiller financier et son fiscaliste pour dresser un plan d’action. »

Que devrait maintenant faire les entrepreneurs désirant s’incorporer?

« Je pense que ces entrepreneurs devraient revoir leurs objectifs à créer une telle société par actions. Les objectifs fiscaux ne devraient plus être considérés comme ils l’ont été dans le passé. Les objectifs de protection d’actifs et la diversification du risque d’affaires devraient désormais être mis de l’avant pour justifier une telle planification fiscale. »

Certains ont qualifié ces nouvelles mesures de véritable cataclysme…

« Je suis d’accord avec ces propos. À mon sens, on vient brimer le contribuable dans son droit d’arranger ses affaires, de manière à payer le moins d’impôt possible. »

Est-ce qu’il existe d’autres avenues fiscalement intéressantes pour les entrepreneurs incorporés?

« L’assurance restera certainement un outil de fiscalité intéressant mais il faudra considérer des dépôts dans les polices de moins en moins imposants, puisque toujours plus d’argent sera désormais envoyé à l’impôt en fonction de ces nouvelles mesures. »

La période de consultation se termine le 2 octobre. D’ici là, quelle est la meilleure stratégie à aborder?

« Il semble que 2017 soit la dernière année pour bénéficier de ces outils sans trop de problèmes. Cependant, et sans aucun doute, il faudra être prudent dans toute planification financière et fiscale à venir puisque nous ne savons toujours pas quelles seront les mesures fiscales finales destinées aux entrepreneurs incorporés qui seront implantées par le gouvernement fédéral. Le président de MICA, Gino-Sébastian Savard, est plutôt convaincu que toutes les mesures proposées ne passeront pas intégralement. Il est d’avis que les entrepreneurs déjà structurés devraient bénéficier maintenant des mesures en place qui pourraient potentiellement disparaître sous le ministre Morneau. Tout comme lui, je crois qu’il est encore trop tôt pour refaire des nouvelles stratégies  »

En terminant, quelles sont vos recommandations d’ici la possible entrée en vigueur de ces nouvelles mesures?

« Toute planification faisant intervenir la création d’une société par actions ou d’une fiducie familiale devrait être reconsidérée, le temps que l’on sache à quoi s’en tenir. On craint actuellement le pire dans la plèbe des fiscalistes : que toutes les mesures proposées soient implantées dans le prochain budget. »

Les opinions exprimées dans ce texte correspondent uniquement à  l’interprétation de Mathieu Goulet du document consultatif émis par le gouvernement fédéral, et en aucun cas il exprime une opinion ou propose une planification fiscale à adopter.

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