Par Martine Letarte | Protégez-vous
Les solutions de paiements en différé sont offertes de plus en plus fréquemment au Canada, souvent sans intérêts. PayBright, Afterpay, Klarna, Sezzle, Versements Visa: nous vous présentons les principales options, leur fonctionnement, les marchands partenaires et les risques qui y sont liés.
Quelques grands joueurs
Payez plus tard… mais achetez davantage
Encore beaucoup d’éléments incertains
Votre magasin favori vient de sortir une nouvelle couleur de votre modèle préféré de pantalon de jogging. Parfait pour traîner à la maison lors des froides journées d’hiver! Or, comme vous êtes un peu serré financièrement ce mois-ci, vous hésitez. Mais voilà qu’on vous propose de payer le montant en quatre versements de 32 $ sans intérêts avec Afterpay. Pourquoi pas? Après tout, le pantalon vous coûtera exactement le même prix en fin de compte…
C’est probablement le type de raisonnement que font de plus en plus de consommateurs, à en croire différentes statistiques. Selon le Consumer Financial Protection Bureau, une agence gouvernementale américaine, les principaux fournisseurs de ce type de services aux États-Unis ont émis 180 millions de prêts en 2021. Mis ensemble, ces derniers représentent plus de 24 milliards de dollars, ce qui correspond à une augmentation annuelle de plus de 200 %.
Et la course aux services de paiements en différé semble loin d’être terminée : au Canada, la valeur brute des marchandises achetées avec de tels services devrait passer de 4,9 milliards de dollars – chiffres de 2021 – à 51 milliards de dollars en 2028, selon un rapport sur la situation canadienne produit par la firme Research and Markets.
Stimuler la consommation
Pour les marchands, ces solutions de paiements en différé représentent une bonne affaire. Ils sont prêts à payer aux fournisseurs des frais moyens équivalant à 2 % du panier d’achat afin d’attirer les consommateurs. Selon RBC Capital Markets, une banque d’investissement mondiale, une option « achetez maintenant, payez plus tard » augmente de 20 à 30 % les chances que l’acheteur passe à la caisse et fait grimper la valeur de la transaction de 30 à 50 %.
Si les solutions de paiements en différé gagnent en popularité, il faut toutefois savoir qu’elles amènent leur lot de risques pour le consommateur, et ce, même s’il n’y a pas de frais d’intérêts.
Plusieurs entreprises offrent leur solution de paiements en différé aux commerçants afin que les consommateurs puissent fractionner en plusieurs versements le prix de leurs achats en ligne.
Comment ça fonctionne? Lorsque vous effectuez un achat de cette façon, l’entreprise derrière la solution de paiement paie l’entièreté de votre facture au commerçant; c’est donc à ce fournisseur, dorénavant, que vous devez des sous. Pour payer par versements, vous devez utiliser une carte de crédit ou de débit; cela dépend de l’entreprise de paiement avec laquelle vous faites affaire et du marchand. Le premier paiement est porté à votre carte directement au moment de l’achat, ou alors quand l’article est expédié.
En règle générale, les plans de type « achetez maintenant, payez plus tard » sont offerts uniquement lorsque vous magasinez en ligne.
Quelques partenaires : Amazon, Apple, Samsung
Durée des paiements : entre 3 et 36 mois en versements mensuels automatiques
Intérêts : entre 0 et 30 %, selon votre historique de crédit, le marchand choisi et le lieu de résidence
En cas de défaut de paiement : il n’y a pas de frais de retard, mais si vous manquez un paiement, vous ne pourrez pas effectuer de nouveaux achats avec Affirm tant que vous n’aurez pas régularisé votre situation. Être en défaut de paiement affectera aussi votre dossier de crédit.
La petite histoire : PayBright est une entreprise canadienne fondée en 2009. Elle a été acquise par l’américaine Affirm à la fin 2020.
Quelques partenaires : Aldo, Ray-Ban, Ardène
Durée des paiements : 4 paiements aux 2 semaines, donc 6 semaines
Intérêts : 0 %
En cas de défaut de paiement : il n’y a pas de frais ni d’intérêts, mais si vous manquez un paiement, vous ne pourrez pas effectuer de nouveaux achats avec Afterpay tant que vous n’aurez pas régularisé votre situation. Il est toutefois possible de rééchelonner vos paiements pour éviter un défaut de paiement, ou encore de payer l’entièreté de la facture. Être en défaut de paiement n’affectera pas votre dossier de crédit.
La petite histoire : Afterpay est une entreprise australienne qui a vu le jour en 2014.
Quelques partenaires : Sephora, Canada Goose, Dynamite… Il est aussi possible d’étaler les paiements de vos achats réalisés en ligne chez n’importe quel marchand en utilisant l’application.
Durée des paiements : 4 paiements aux 2 semaines, donc 6 semaines
Intérêts : 0 %
En cas de défaut de paiement : si vous manquez un paiement, Klarna vous envoie un courriel d’avertissement, puis tentera de l’encaisser à nouveau deux jours plus tard. En cas d’échec, l’entreprise essaiera de recouvrer le paiement en utilisant tout autre mode de paiement inscrit à votre dossier. En dernier recours, les dettes impayées seront transmises au service de recouvrement des créances et affecteront votre dossier de crédit.
La petite histoire : Klarna est une entreprise suédoise créée en 2005. Elle a des bureaux à Toronto et prévoit en ouvrir à Vancouver et au Québec en 2025.
Quelques partenaires : Altitude Sports, Empire, Rudsak
Durée des paiements : 4 paiements aux 2 semaines, donc 6 semaines
Intérêts : 0 %
En cas de défaut de paiement : si un pépin financier survient, il est possible de rééchelonner les paiements jusqu’à trois fois sans frais pour les résidents du Québec. Si vous manquez tout de même un paiement, après deux jours de la date d’échéance, votre compte sera suspendu, ce qui signifie que vous ne pourrez pas effectuer de nouveaux achats avec Sezzle tant que vous n’aurez pas régularisé votre situation. Être en défaut de paiement n’affectera pas votre dossier de crédit.
La petite histoire : Sezzle est une entreprise américaine fondée en 2016. Elle a été acquise en février 2022 par l’australienne Zip.
Quelques partenaires : Banque Scotia, Desjardins (à travers la carte de crédit Visa)
Durée des paiements : le nombre de mois sur lesquels vous pouvez étendre vos paiements varie d’un marchand à un autre.
Intérêts : 0 %
En cas de défaut de paiement : si vous ne payez pas votre versement qui vient de s’ajouter à votre montant minimal dû dans les délais prévus inscrits sur votre relevé de carte de crédit Visa Desjardins, le taux d’intérêt de votre carte de crédit s’applique. Être en défaut de paiement affectera votre dossier de crédit.
La petite histoire : Visa inc. est un géant américain fondé en 2007 dont les origines remontent à 1958. L’entreprise est présente à Toronto.
Récemment, un iPhone offert en plusieurs versements est venu tenter Ginette Giroux, mais la résidente de la région de Québec s’est raisonnée. « Non, je n’achèterai pas de téléphone en 12 versements alors que j’en ai déjà un, explique-t-elle. Mais, plus jeune, j’ai eu besoin d’utiliser ce genre de programme lorsque ma laveuse et mon téléviseur ont lâché en même temps. »
Il y a quelques années, elle a également demandé une nouvelle carte de crédit pour avoir accès à l’ancien programme Accord D de Desjardins et ainsi effectuer plusieurs paiements sans frais pour acheter des meubles.
Or ce choix l’a rattrapée. « Comme je faisais un paiement mensuel pour mon achat, j’ai manqué d’argent pour le reste, témoigne la consommatrice. J’ai donc utilisé ma nouvelle carte de crédit, que j’ai fini par remplir. Quelques années plus tard, j’ai dû faire une consolidation de dettes. Ces modes de paiement encouragent les gens à s’endetter. Maintenant, je me tiens loin de tout cela. »
Si les services de paiements en différé sont à ce point populaires, c’est souvent parce que les gens n’ont pas les fonds nécessaires dans l’immédiat pour payer le produit désiré.
« Si vous n’avez pas l’argent en ce moment, qui dit que vous l’aurez dans quelques semaines? Surtout si vous vous mettez à multiplier les achats avec différentes plateformes », soulève Sylvie De Bellefeuille, avocate et conseillère budgétaire et juridique à Option consommateurs.
Alors qu’auparavant, ce type de plan de financement était offert seulement pour de gros achats (comme les automobiles et les meubles), il est maintenant aussi proposé pour de petites acquisitions. « Mais si vous n’avez pas d’argent pour acheter la blouse que vous voyez en ligne, devez-vous vraiment l’acheter ? C’est comme si nous avions arrêté de nous poser des questions sur nos habitudes de consommation, alors que dans le temps de nos grands-mères, les gens devaient épargner avant d’acheter; donc, une réflexion s’imposait. Ces solutions de paiement encouragent les achats impulsifs », déplore l’experte.
Desjardins, qui a laissé tomber son programme de financement Accord D pour se tourner vers Versements Visa, a d’ailleurs choisi d’offrir cette option seulement pour les achats de 200 $ et plus effectués chez les marchands participants. « En dessous de ce montant, nous considérons que la personne devrait avoir amassé cet argent grâce à l’épargne », indique Valérie Lamarre, de Desjardins.
De plus, la coopérative n’offre pas les versements à ses membres qui ont des comptes en souffrance, ou encore à ceux qui ont des limites de crédit très restreintes. « La possibilité de payer l’achat par versements n’est pas une offre de crédit additionnel, parce que la limite sur la carte de crédit reste la même et doit permettre de payer la totalité de la facture au moment de l’achat », précise la porte-parole.
Les entreprises qui offrent des solutions de paiements en différé sont encore relativement nouvelles. Si elles se ressemblent en plusieurs points, elles font aussi montre de différences, par exemple lorsqu’il est question du dossier de crédit. Alors que la plupart des fournisseurs de telles solutions ne procèdent pas à une vérification de votre crédit ou en font seulement une en surface – ce qui n’affecte pas votre dossier –, certains rapportent les cas de défaut de paiement aux principales agences d’évaluation de crédit.
« Or, très rares sont les consommateurs qui lisent les conditions d’utilisation, surtout qu’il est facile à l’heure actuelle de se retrouver avec des plans de paiement avec différentes entreprises, ce qui vient alourdir la tâche, fait remarquer Sylvie De Bellefeuille. Ces documents sont d’ailleurs rarement rédigés pour être facilement compréhensibles, sans compter que les entreprises peuvent toujours changer leurs conditions; il peut donc être très difficile de suivre le fil. »
De plus, plusieurs grands joueurs des services de type « achetez maintenant, payez plus tard » se trouvent à l’extérieur du Québec. Qu’advient-il alors en cas de pépin avec le produit, par exemple si vous décidez de le retourner ? Lorsque vous faites affaire par Internet, les lois en vigueur se rapportent au lieu de résidence. « Donc, en théorie, la Loi sur la protection du consommateur s’applique, explique Sylvie De Bellefeuille.
Par exemple, cette loi permet au consommateur d’annuler son contrat dans certaines circonstances avec le commerçant, qui a 15 jours pour le rembourser. S’il ne le fait pas, le consommateur qui a payé avec sa carte de crédit peut demander une rétrofacturation à l’émetteur. Par contre, s’il a payé avec un plan de financement d’une tierce partie – comme Affirm –, cela pourrait être plus difficile pour lui d’obtenir un remboursement, parce que ce dernier doit être effectué par le commerçant à la plateforme de financement, puis de cette plateforme vers le consommateur; cela ajoute donc un intermédiaire. »
Et en cas de non-paiement de votre part, comment le fournisseur de la solution de paiement récupérera-t-il son dû ? Certains font affaire avec des services de recouvrement, tandis que d’autres assument les pertes financières causées par les mauvais payeurs. « Donc, là encore, c’est le genre d’élément qui varie d’une entreprise à une autre, et c’est difficile pour le consommateur de s’y retrouver », poursuit Sylvie De Bellefeuille, qui précise qu’Option consommateurs prépare actuellement un rapport de recherche sur les entreprises offrant des solutions de paiements en différé au Québec.
Même s’il y a encore beaucoup d’inconnues, l’avocate et conseillère ajoute une chose certaine : « Ce n’est pas tant l’offre de crédit qui est un problème, mais bien sa surutilisation ou sa mauvaise utilisation. »
SOURCE : Protégez-vous